« Monsieur diplômé, (...) recherche en vue mariage jeune personne (...) avec dot minimum 500000 et espérance possible ».
Notre société actuelle a relégué ces considérations aux oubliettes,
mais ces quelques mots de Montherlant nous rappellent qu'un «?bon
parti?» se mesurait, jusqu'au début du siècle dernier, à l'aune de ses «
espérances », c'est-à-dire ses perspectives d'héritage. A une époque où
le mariage formait une cellule avant tout économique, dans le cadre de
la famille, l'héritage permettait aux jeunes gens de s'établir dans la
vie, en leur transmettant l'outil de travail de leur auteur ou en les
mettant en possession de capitaux.
Mais
les progrès de la science ont perturbé cette mécanique : avec
l'allongement de la durée de vie, les héritages se sont faits plus
tardifs, privant les jeunes gens de cet apport au moment où ils en
auraient eu besoin.
La
donation est alors apparue comme le moyen de remédier à ce problème,
devenant le mode de transmission privilégié. L'étude des statistiques de
l'administration fiscale révèle une augmentation constante et
exponentielle des donations. De 300 000 donations enregistrées fin 1998,
on est passé à 510 910 en l'an 2000, et ce nombre n'a cessé de croître
d'année en année. Il est vrai que le législateur, conscient des effets
positifs des transmissions sur l'économie, celles-ci facilitant la
circulation des richesses, a accompagné les contribuables dans cette
voie par des mesures fiscales favorables. L'abattement des droits de
donation entre parent et enfant est ainsi passé de 46 000 euros en 2004 à
159 325 euros jusqu'au 18 août 2012.
La
nouvelle disposition de la récente loi de finances rectificative de
réduire l'abattement à 100 000 euros annonce la fin d'une ère propice
aux libéralités.
Rappelons-nous toutefois que le précédent gouvernement
avait commencé, en fin de législature, à rogner sur les avantages passés
: le délai de 6 ans nécessaire à la reconstitution de l'abattement
entre deux donations était ainsi passé à 10 ans (loi de finances
rectificative du 31 juillet 2011) puis à 15 ans dernièrement.
Dès
l'élection de François Hollande, les professionnels du droit ont
multiplié les exhortations pour inciter les parents à réaliser au plus
vite des donations à leurs enfants, pour profiter une dernière fois des
aménités légales. Un peu comme si tous les parents disposaient de
plusieurs centaines de milliers d'euros dormants et n'attendaient que
leur signal pour les distribuer...
La
majorité d'entre eux aimeraient donner mais ne peuvent se déposséder
d'un élément de leur patrimoine dont ils ont besoin pour se loger ou
pour se procurer une source de revenus.
Le dilemme parental oscille donc entre intention libérale et besoin de sécurité.
La
technique juridique peut offrir le moyen de concilier l'une et l'autre
de ces aspirations. Le démembrement de propriété, qui vise à dissocier
l'usufruit, c'est-à-dire le droit d'user d'une chose et d'en percevoir
les fruits, loyers ou intérêts, de la nue-propriété, droit de propriété
futur, en est une parfaite illustration.
Les
applications sont nombreuses dans la matière qui nous occupe. Si les
donations en nue-propriété d'un bien immobilier s'avèrent assez connues,
il est plus rare de transposer le raisonnement pour des placements
financiers.
Voici deux illustrations, qui ont été volontairement simplifiées dans un souci de clarté.
1 er exemple
Le client possède un bien immobilier
Il
a deux enfants et perçoit les loyers d'un appartement. Il souhaiterait
allotir ses deux enfants de manière égale, en continuant à jouir de ses
revenus.
Plusieurs
options s'offrent à lui : si l'entente familiale est bonne, que la
situation financière de ses deux enfants le leur permet et qu'ils
souhaitent conserver le bien après son décès, il peut leur donner le
bien en nue-propriété, en se réservant l'usufruit. Il continuera donc à
en percevoir les loyers jusqu'à son décès, qui les rendra alors pleins
propriétaires indivis sur le bien. L'avantage d'organiser la donation au
lieu d'attendre la succession est le coût réduit des droits de
mutation. Le calcul des droits de donation se limite à la nue-propriété
alors que les droits de succession porteraient sur la pleine propriété.
Autre
variante, plus avisée : apporter le bien à une société civile
immobilière, et donner la nue-propriété des parts à ses enfants.
Cela
permettra, entre autres, d'éviter de créer une indivision entre ses
enfants et de poser des règles précises pour la répartition des recettes
et des dépenses.
C'est
l'option que l'on privilégiera pour organiser la transmission de sa
résidence principale : choisir de la placer dans une SCI pour en
transmettre la nue-propriété des parts à ses enfants peut être une
excellente solution, à condition d'organiser dans les statuts la
protection des droits des parents usufruitiers (gérance statutaire,
etc.). L'enjeu est de taille. C'est parfois le seul moyen de conserver
le bien dans le giron familial : le poids de la résidence principale
dans le patrimoine est tel que les droits de mutation peuvent obliger
les héritiers à la céder contre leur gré.
Enfin,
si les soucis de la gestion locative pèsent, ou que le rendement du
bien n'offre plus de perspectives intéressantes, le client peut céder le
bien et donner la nue-propriété des capitaux à ses enfants, avec
obligation de remploi sur autant de contrats de capitalisation qu'il y a
de nus-propriétaires, c'est-à-dire deux dans notre exemple.
Les
atouts de la solution sont nombreux : outre le confort de percevoir des
revenus sans avoir les soucis de la location, le client bénéficie
notamment de la fiscalité plus clémente des contrats de capitalisation
(identique à celle de l'assurance vie pour la perception de revenus). A
son décès, ses enfants deviendront pleins propriétaires de leur contrat
de capitalisation, qu'ils seront libres de conserver en l'état pour en
percevoir à leur tour les revenus ou qu'ils injecteront dans un nouveau
projet.
2 e exemple
Le client possède un portefeuille de valeurs mobilières
Il
peut décider d'en donner la nue-propriété à ses enfants, ou l'apporter à
une société civile de portefeuille et transmettre les parts de cette
société avec réserve d'usufruit.
En
principe, la qualité d'usufruitier lui permettra de percevoir
dividendes et intérêts, tandis que le nu-propriétaire aura droit aux
plus-values. Ce dernier est d'ailleurs redevable de l'imposition sur les
plus-values, sauf convention contraire. Le pouvoir de gestion,
c'est-à-dire d'arbitrer les titres, appartient en général à
l'usufruitier, à condition qu'il remploie le produit de la cession dans
l'acquisition de nouveaux titres (principe de l'universalité, posé par
la Cour de cassation dans un célèbre arrêt de 1998). On ne peut que
conseiller d'établir, à l'occasion du démembrement, une convention
définissant les pouvoirs de chacun et, pourquoi pas, des orientations de
gestion.
On
le voit, les moyens d'initier la transmission des avoirs sans s'en
déposséder totalement ne manquent pas. La réforme ne mettra pas fin aux
donations, elle rendra toutefois encore plus incontournable le recours à
des conseils, conseiller en gestion de patrimoine, avocat ou notaire,
pour organiser progressivement la transmission du patrimoine. On ne peut
que saluer l'évolution des mœurs. Le votum mortis
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